Acid | Maxime

Lorsque l'on vit dans la rue, seul, sans aucune aide, ni meute ni maître, il faut savoir se débrouiller seul. Connaître tous les petits coins, toutes les astuces est primordial. Sinon, on ne survit pas. C'est pourquoi Maxime savait déjà en se dirigeant vers l'usine que c'est à manger qu'il trouverait. De la nourriture facile pour qui savait si prendre.
Il trottina donc vers le mastodonte de ferraille et s'y faufila sans grand mal et ce malgré sa carrure imposante. Il évita les rares humains encore présent à la pause de midi et marcha entre les caisses. Il laissa son flair le guider, trouver la moindre trace de harengs à l'air libre... Et puis, finalement, il ne trouva rien qui ne puisse faire son bonheur. Il lâcha un long soupire et se dirigea vers les caisses. Il aurait préférer en trouver déjà ouverte pour éviter de faire du bruit mais bon...
L'imposant berger bondit sur un tas de caisses, il se glissa derrière la plus haute et d'un coup de patte violent l'envoya valser. Elle s'éclata au sol dans un déluge d'écharde et de poissons encore frai. Le grand mâle descendit de son perchoir dans un bruit mat et lourd et marcha jusqu'à son repas. Il dévora le hareng, bien que trop salé à son goût.
Il fut si occupé dans sa dégustation qu'il mit un certain temps à voir la chienne qui s'approchait de lui. Dès qu'il l'aperçu du coin de l’œil, il se stoppa, avalant sa bouchée. Il leva le museau, toujours penché sur son repas. Il la dévisagea.
Une jolie chienne grise bleue au regard perçant, elle avait un vieux harnais sur le corps et Maxime ne dût pas réfléchir longtemps avant de la reconnaître. Du moins, ne connaissait-il pas son nom, il savait simplement qu'elle était une chienne d'attelage et savait duquel.

" Bonjour, articula-t-il de sa voix rocailleuse, ne reste pas dans l'ombre ma jolie. "

Il se redressa totalement, s'avança de quelques pas vers elle. Le froid piquait son immonde brûlure de millier de poignards glacés, mais il ne laissa transparaître de cette douleur constante qu'un visage taciturne alors qu'il marcha encore vers la femelle.
Il s'arrêta à moins d'un mètre d'elle. Ses yeux ne la lâchait pas, il voulait voir si elle allait détourner le regard face à son œil rougeâtre, face à sa face défigurée. Avec le temps, il avait prit l'habitude de ne pas y faire attention, mais le regard de cette chienne là l'intéressait.

" Toi aussi, tu cherche à manger ? Pourtant j'pensais que ton gentil maître nourrissait ses chiens suffisamment... "

La chienne ne détourna pas le regard, ne sembla même pas choquée par la vision du visage horrible de Maxime. Cela le ravit quelque peu, la demoiselle n'avait pas froid aux yeux et il aimait cela. La belle eut même un rictus amusé après les paroles du grand chien.
Celui-ci profita des quelque secondes de silence pour la regarder plus en détails. Elle était couverte de suie et puait le charbon, c'en était même étonnant que Maxime ne l'ai pas sentit plus tôt. A tous les coups elle devait sortir de la mine.

" Il veut quoi l'cabo défiguré ? Sa queue battit l'air et un sourire hypocrite apparu sur son visage d'ange, Y t'es arrivé quoi? C'est l'poisson qui t'a bouffé la gueule ? Ou t'es juste pas gâté par la nature ? "

Elle s'assit, fixant toujours le grand cabot. Celui-ci ne trouva guère la blague à son goût. S'il y avait bien une chose dont il ne fallait pas parler avec Maxime c'était bien de sa brûlure. Il regrettait déjà bien assez le passé comme cela... Sa blessure boursoufflé se réveilla soudainement dans une douleur fantôme, il se souvenait encore la sensation du métal incandescent contre son visage, l'odeur des poils brûlé, sa peau qui restait accrochée contre le tuyau brûlant... Il s'ébroua dans un frisson de dégout.

" En tout cas j'comprends que tu viens dans un tel endroit, avec une gueule comme ça préférerai me cacher. "

C'en était trop. Il plissa brutalement le museau, montrant ses crocs dans une expression féroce qui rida ses cicatrices. Un grognement rauque s'échappa de sa gorge tandis qu'il se laissa envahir de colère, une colère noire et ravageuse.
La seule chose qui le retenait d'égorger sur le champ la chienne arrogante en face de lui c'était les remords. Il en avait bien tuer, des chiens, dans la rue, mais il n'avait jamais aimé ça et il avait beau être hors de lui, il préféra se retenir encore un peu de lui infliger les mêmes cicatrices que lui.
D'autant plus qu'il se savait vainqueur à coup sûr, du haut de ses quatre vingt cinq centimètre au garrot, il avait était battit et entraîné pour le combat. Quand bien même il fut moins robuste à cause de sa vie d'errance, il n'en restait pas moins redoutable.

" Excuse moi ma jolie, c'est pour pas choqué les petites natures dans ton genre que j'évite les grandes rues. Mais fais gaffe, à force de rouler du cul tu risque de t'casser la gueule, ce serait dommage d'abîmer un si jolie visage non ? "

Il était hors de lui et sa voix le trahissait, il affecta un rictus tendu qui le défigura d'avantage tandis qu'il avança une patte griffue qui crissa sur le métal, abaissant le poitrail légèrement, dressant oreilles et queue, il se montrait prêt au combat.

" Mais si tu veux on peut aller plus vite, j'me ferais une joie de te refaire le portrait, peut-être que tu d'viendrais plus respectueuse une fois la gueule cassée comme moi ? T'en dis quoi ma jolie ? "

" Bah alors ? On est susceptible ? Oh pardon. Loin de là mon but de te faire du mal petit. "

Comme si une pimbêche comme elle pouvait me blesser, moi.
La chienne, nullement impressionnée par la taille du grand bâtard d'attaque, ne cilla pas. Elle garda un calme à tout épreuve et se dressa sur ses pattes. En taille, elle n'était pas mal non plus, mais certainement pas aussi grande que Maxime.
Elle ne répondit pas tout de suite, préféra se diriger vers un sceau non loin, cherchant sûrement à boire.

" Tu t'appelles comment toi ? Elle retourna le sceau, l'eau était devenue glace, Peu importe, tu d'vrais venir à la mine une fois, dire bonjour à l'attelage Rusher. Qui sait, ptet que l'vieux Rusher voudrait d'un chien comme toi, il a l'habitude d'en voir. T'pourrais ptet devenir son chien d'garde. Comme ça t'aura plus b'soin de jalouser sur les chiens d'attelages. "

Dit-elle tout en se tournant vers le grand mâle. Celui-ci resta quelques secondes sans réactions, puis il dressa le cou et éclata dans un rire gras et puissant. Il secoua le museau, son corps se détendit et il s'approcha un peu plus de la jolie sibérienne grisâtre et tâchée de suie.
Il ne jalousait pas les autres chiens, il s'en foutait éperdument. Devenir un chien de garde ou finir ses jours en tant que chien errant, ça aussi, il n'en avait cure. Il vivait sa vie comme elle lui apparaissait en tentant simplement de ne pas mourir.

" J'men fou pas mal de vous autres, j'ai tout c'qu'il me faut, merci bien. "

Elle se croyait supérieur, non ? Maxime sentit rapidement qu'elle se croyait clairvoyante en tout, mais il sentait aussi qu'elle ne faisait que coller à sa fourrure de vieux préjugés sans se creuser d'avantage la cervelle. Elle était soit stupide, soit égocentrique. Dans tous les cas, il n'avait pas envie de la démentir ni même d'être d'accord, il avait d'autre chose à faire et quand bien même cette chienne était séduisante, il la laissera penser ce qu'elle veut.

" On m'appelle Maxime. Et toi t'es qui ? Encore une de ces idiotes qui croient tout savoir ? "

Un rictus moqueur fit grimacer sa plaie brûlée tandis qu'il contourna la femelle. Il la fixait, tournait autours.

" Hm, ta réaction ne me choque même pas. J'suis habituée t'sais, vous les chiens errants vous êtes doués de fierté. Quoi que doué n'est peut-être pas le bon mot... "

Son sourire exaspéra Maxime. Croyait-elle vraiment que le grand berger en avait quelque chose à faire d'être domestique ou sauvage ? Peu lui importait. Mais, grand bien lui fasse de rester bloquer dans ses aprioris, le chien d'attaque préféra ne rien dire. A quoi bon tenter de changer l'avis d'une idiote campée sur ses positions ?

" Suis-je idiote de savoir que c'qui t'es arrivé est sûrement très con aussi ? Lâcha-t-elle tout en se levant, On m'appelle Molly, de l'attelage Goldsmith; enchantée de te connaître Max. "

Ironisa-t-elle. Debout, elle entra dans la ronde du chien défiguré, tournant l'un autours de l'autre à une allure soutenue.
Elle n'avait pas tout à fait tort, ce qui était arrivé à Maxime était de l'ordre des blessures idiotes, blessures qu'il n'aurait pas eut si Macao était intervenu. Mais la haine que les deux frères se vouaient ne venait pas uniquement de ce seul incident. Rien que d'y penser, Maxime se sentit bouillonner.

" Maintenant qu'on est pote, j'peux savoir ce qui s'est passé ? "

Demanda-t-elle en pointant la brûlure de Maxime du museau.
Il se stoppa. La fixa longuement, semblant la jauger de son regard dépareillé. Puis, il éclata d'un rire gras tout en secouant la tête pour tenter de se calmer. Il se retourna, ricanant toujours et alla dévorer un nouveau hareng. Il la faisait attendre.
Cet empressement et cette simplicité plaisait au grand berger, peut-être consentirait-il à lui révéler la raison idiote qui le rendait si laid ?
Il continua de mastiquer, dos à la chienne et sans la mirer parla :

" Qu'est-ce que tu gagne, ma jolie, à savoir comment je me suis retrouver aussi repoussant ? "

Il marqua une longue pause, avalant bruyamment une autre bouchée et reprenant à manger. Il se retourna de nouveau face à elle, penchant légèrement la tête sur le côté.
Était-ce seulement la curiosité qui animait la femelle ? Ou cherchait-elle un nouveau prétexte pour se moquer de lui d'avantage ?

" Puis surtout, qu'est-ce que j'y gagne moi ? "

" Une histoire d'horreur à raconter à mes gosses. Son visage sertis d'un sourire provocateur, elle poursuivit ; J'm'en contre fiche de c'que tu peux y gagner et j'm'en contre fiche de savoir c'qui t'es arrivé en fait. "

Maxime eut un sourire, à son tour. Cette chienne ne savait décidément pas ce qu'elle voulait. Ou tentait-elle de se donner une quelconque prestance en feignant le désintérêt ? Il ne le savait, mais son comportement l'amusait tout de même. Tout en l'énervant, cela va de soi.
La chienne se leva d'un coup d'un seul et s'ébroua, Maxime devrait en faire de même car la neige commençait à couvrir son pelage brun noir, mais il n'en avait pas vraiment envie.

" J'pensais qu'les chiens comme toi cherchaient à avoir de l'attention, alors j't'en donne. Mais c'vrai, ''tu t'fous pas mal des autres, t'as tout c'qu'il t'faut'' apparemment. "

Puis elle éclata d'un rire faux. Le berger tourna le regard sur Molly. Elle était réellement détestable, elle se berçait d’aprioris et de clichés. Il n'avait jamais eut besoin d'attention, il n'était pas ce genre de chien. Certes il aimait deviser avec certains chiens, rires aux éclats autours d'un bon gibier fraîchement abattu. Mais jamais il n'avait exprimé le besoin d'être le centre d'attention.
Cela l'irritait.
Tandis que la chienne se dirigeait vers les caisses opposées à lui, Maxime se décida à répondre.

" Je doute que tu ais un jour des gosses, Molly, autant que je doute qu'un jour aucun mâle n'ai la prétention de vouloir de toi. "

Car tu es insupportable. Malgré sa beauté, la chienne devait plutôt faire fuir les mâles.
Le grand chien d'attaque se tourna doucement vers la chienne d'attelage, préférant ne pas répondre aux dernières provocations de Molly. Il s'étira en baillant, puis secoua doucement la tête en faisant tomber quelques flocons cotonneux.

" Tu risque d'être dessus ma jolie, rien à voir avec une quelconque histoire d'horreur. Il ricana avec amertume, je me suis juste pris un tuyaux brûlant en pleine gueule. "

C'était un grand raccourcis, il n'avait pas parlé de la bagarre pour protéger sa sœur, de l'indifférence de son frère... des détails, pensa-t-il en son for, des détails qu'elle ne mérite pas de savoir. Et qu'elle aurait put utiliser pour se gausser encore de lui.
Il posa son regard dépareillé sur elle, son sourire avait disparu.

" Alors, pas trop déçue ? "

Avant qu'il ne parle, elle lui expliqua qu'elle ne voulait pas de famille et en profita pour lui envoyé un pic. Maxime s'en fichait de savoir si oui ou non elle voulait un enfant, mais le fait qu'elle se justifie l'amusa, si l'on se justifie c'est que l'on a quelque chose à se reprocher et que donc notre Maxime avait en partie raison.
Il lui conta l'histoire, Molly ne sembla guère affectée. Il s'en doutait et au final c'était mieux ainsi, il haïssait la pitié. La chienne grise esquissa alors un sourire :

" J'en ai vu pleins, des chiens avec ta gueule, mais pas pour la même raison. J'crois bien qu'c'est la première fois qu'l'histoire d'un chien errant m'intéresse. T'as eu ça où, et pourquoi? "

Elle finit par s'approcher de lui, doucement. Le grand clébard ne bougea pas lui, toutes ces questions remuaient le passé et il n'appréciait guère. Il sentait une légère pique lui traverser le cœur, il grimaça douloureusement puis retrouva rapidement son cœur. Il ne devait rien laisser paraître ou cette saleté allait se gausser de lui.

" Tu veux savoir toute l'histoire au complet ? C'est bien cela ma jolie ? "

Elle ne méritait pas de l'avoir, mais que risquait-il maintenant ? Si elle se moquait de lui il pourrait toujours la croquer. Un bon coup de dent dans la nuque et tout cela serait finit. Il sourit à cette perspective et se décida à tout lui conter, sans attendre qu'elle ne réponde.

" J'avais deux mois j'crois, quelque chose comme ça. Puis ma sœur voulait absolument voir la ville... Alors on s'est cassés d'notre maison vite fait. Notre frère nous a suivit, Macao qui s'appelle... Lui il t'aurait sûrement déjà tué. "

Et ce n'était même pas une menace, c'était la simple vérité, face à une chienne aussi agaçante il en aurait déjà finit, d'une manière ou d'une autre.

" On est tombés sur des chiens errants et va savoir pourquoi Marie - ma sœur - n'a pas hériter de mon agressivité. Aussi il a fallut que je la protège, du coup j'me suis battu et j'ai perdu l'avantage. Pendant tout s'temps mon frangin est resté planté en hauteur à nous regarder. T'vois peut-être que s'il était venu j'men serais sortit tranquille... Enfin bref, toujours est-il qu'un des clébards m'a envoyé valser et que ma tête a heurter un tuyaux brûlant. "

Il frissonna, pria pour qu'elle ne l'ai pas vu. Il se souvenait si bien...

" J'me souviens cette odeur de viande grillée, puis les poils et la peau fondues qui restaient collés contre ce foutu métal. Ah ah... C'qu'est drôle c'est que Macao m'a dit un jour qu'aucune odeur lui avait autant mit l'eau à la bouche que moi en train d'griller. "

Il lâcha un rire amer et regarda dans les yeux la chienne grise.

" Je pense que toi et Macao vous vous seriez bien entendu, en fait. S'il te tue pas s'il te croise vous auriez put faire un couple splendide. "