Un petit tour en ville ~ avec Aiden

Un petit tour en ville

L'hiver était rude cette année-là. Les chiens sans collier étaient sans doute ceux qui en souffraient le plus, vivant sans la chaleur d'une maison et sans une écuelle toujours pleine. Il y avait ceux qui regrettaient cette vie de facilité et de confort, et ceux qui assumaient. Aiden faisait partit de ces derniers. Pour rien au monde il n'aurait échangé sa liberté; sa vie d'errance, il l'aimait.
A première vue, il ne semblait pas trop souffrir de la mauvaise saison. Quand beaucoup de chiens des rues étaient maigres, sales et balafrés, le bâtard au poil gris était tout l'inverse. Son épaisse fourrure douce à l'apparence souvent propre cachait le peu de poids qu'il avait perdu durant cette saison. On aurait presque dit un chien domestique parmi tant d'autres, lorsqu'il faisait les yeux doux aux passants pour avoir à manger.

Mais la vie n'était pas rose tous les jours. Si Aiden avait une planque, ou il pouvait passer ses nuits au chaud, il ne s'endormait pas toujours l'estomac plein. Les jours de disette commençaient à lui peser, ainsi le croisé husky décida t-il de quitter son quartier habituel, duquel il ne s'était jamais vraiment éloigné par prudence. Il avait entendu des histoires à propos de chiens errants pas forcément sympathiques qui rodaient à l'autre bout de la ville. Mais pas question de rester caché, ce n'était pas une vie. Il allait avoir un an bientôt, il était assez grand et fort pour se confronter au reste du monde extérieur.

Aiden se mit donc en marche, le nez en l'air, plus intrigué qu'intimidé à l'idée d'explorer des lieux inconnus. A vrai dire, il en mourrait d'envie depuis des semaines, mais les avertissements de Jess, la vieille husky qui s'était occupé de lui lorsqu'il était chiot, lui revenaient toujours en mémoire. Elle lui avait toujours conseillé de rester dans son quartier, ce quartier qui l'avait vu grandir.
Sauf que Jess n'est plus là, maintenant. Plus d'interdictions, plus de contraintes. Et pour Aiden, braver cet interdit ne pouvait signifier qu'un peu plus de liberté. Plus rien ne le retenait de faire ce qu'il voulait, désormais.

Le paysage autour de lui était totalement inconnu désormais. Le chien se laissa guider par une odeur alléchante, provenant des ordures derrière l'une de ces maisons dans lesquelles les hommes se réunissaient pour manger. Il saliva et remua la queue d'avance à l'idée de son estomac enfin plein... mais il s'arrêta net en voyant un autre canidé, la truffe plongée dans la poubelle, sûrement sur la piste du même met que lui.
Les muscles du vagabon se tendirent aussitôt. Était-ce prudent de s'attaquer à ce chien ? Il avait l'air costaud et bien nourri. C'est alors qu'il remarqua le collier autour du cou de l'animal, presque camouflé par son épaisse fourrure. Rassuré, il fit un pas, oreilles vers l'avant, pour signifiait qu'il n'était pas agressif. Les chiens domestiques étaient naïfs et gentils; la plupart acceptaient de bon coeur de partager leurs trouvailles, et il n'était pas difficile de tout récupérer derrière leur dos. D'autres défendaient hargneusement leurs trophées mais, généralement, ils ne savaient pas se battre et il n'était pas bien difficile pour Aiden de les envoyer rejoindre leur maître en geignant.

Aiden était suffisamment malin pour ne pas appliquer immédiatement la méthode violente. Il tentait toujours une première approche pacifique, et improvisait ensuite. Restait juste à savoir si ce chien, ou plutôt cette chienne, était du genre généreuse.